Billets qui ont 'Claverie, Pierre' comme nom propre.

Le dialogue et la rencontre

J'ai commencé le Pierre Claverie ce matin (malheureusement j'ai dû le rendre à la bibliothèque avant de l'avoir fini alors que je pensais le faire prolonger. Mais il était réservé).

Il est très bien, si ce n'est son style oral un peu déroutant. Il commence par «Ne prenez pas de bonnes résolutions, ça ne marche pas. Ne pensez à rien, promenez-vous, décrispez-vous» (il s'agit du prêche d'une retraite). J'ai pensé à Emerson, Thoreau, les livres de self-help américains et leur naïveté, la sagesse antique et les traditions orientales. Tout cela se croise, en surface c'est-à-peu près la même chose, c'est l'épaisseur d'expériences et de calme, les références utilisées, la façon dont tout cela a été ruminé, au sens quasi propre — mâché, régurgité, ravalé — qui fait la profondeur de certaines réflexions tandis que les autres restent doucement hippies (mais pas si différentes dans leur message).

L'une des dernières phrases lues avant de rendre le livre (à peu près à la moitié) est celle-ci: Pierre Claverie rapporte une réflexion entendue un jour: «Croire que parce que vous êtes quelqu'un de bien il ne vous arrivera rien de mal, c'est comme croire que le taureau ne vous attaquera pas parce que vous êtes végétarien.»

Pierre Claverie raconte la façon dont le fait de vivre en culture musulmane l'oblige à prendre conscience de ses propres présupposés culturels invisibles. Son récit ne dit que rien que nous ne sachions, ce sont les illustrations qu'il donne qui sont savoureuses et frappantes.

A travers lui j'ai retrouvé l'impression que m'avait laissé le Coran quand je l'avais lu en terminale: un Dieu extrêmement lointain, coupé des hommes. Les musulmans ont un Dieu intouchable, éloigné, les juifs ont un Dieu avec lequel ils se collettent (ça me plaît beaucoup, j'aime la lutte de Jacob, Moïse qui refuse la mission, Jonas qui râle parce que Dieu est trop miséricordieux), les chrétiens ont trouvé un moyen terme, le leur (s')est incarné, c'est plus facile pour la rencontre (mais bien plus compliqué pour la théologie).

Guère encourageant

Evidemment, nous encourager à lire Pierre Claverie («Lisez-le, il a des pages formidables sur le dialogue») pour découvrir en quatrième de couverture «La rencontre et le dialogue ont profondément marqué la personnalité et l'existence de Pierre Claverie, évêque d'Oran, assassiné en 1996»1
m'a donné envie de rire, parce que j'ai très mauvais esprit2.

Cela va dans le sens de cette sensation intérieure de vivre une période du genre des années trente: malgré les hommes de bonne volonté, le pire pourrait bien se produire; mais après le pire, il faudra reconstruire, comme toujours. Et c'est alors que le travail des hommes de bonne volonté prendra son sens.

Mais peut-être ai-je l'esprit trop porté au noir.





Notes
1 : Petit traité de la rencontre et du dialogue
2 : "Rire jaune?" me propose un ami. Non, rire sardonique, diabolique, parce qu'il me semble voir là, très précisément, l'œuvre du diable (dia-bolus, celui qui divise), parce que je sais que de ce genre d'événement, cet assassinat, certains concluront que le dialogue est inutile, que c'est la guerre (éventuellement civile) qu'il nous faut, et vaincre, et écraser; tandis que j'en tire la conclusion inverse, l'urgence de dialoguer avec ceux qui le souhaitent, dans la conviction que ceux qui souhaitent simplement vivre en paix avec leurs voisins, élever leurs enfants, rire et croire en leur Dieu, sont plus nombreux que les fauteurs de guerre — mais hélas discrets, silencieux, polis, bien élevés, et donc invisibles. Notre tâche, ensemble, est de devenir visibles, de ne pas céder la place à un petit nombre qui parle à notre place, bien plus fort que nous, les paisibles. Nous ne devons pas laisser une minorité mener sa logique de violence — mais l'histoire montre que généralement cette conclusion n'est atteinte que dans un deuxième temps; dans un premier temps la violence l'emporte. Peut-on, pourrait-on, apprendre à faire l'économie de cette première étape? Est-il possible de sauter par-dessus une marche de l'escalier? Je n'en sais rien, à vrai dire je n'y crois pas beaucoup. Mais il me semble de notre devoir d'essayer, de ne pas baisser les bras. Il est trop facile de baisser les bras, de ne pas combattre (combattre la violence: l'image même montre combien l'idée est difficile à concevoir et à mettre en œuvre).
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